Après être restés dans l’ombre pendant dix ans, les marchés émergents jouent les premiers rôles en ce début d’année.
Ils ont atteint leur point bas en octobre de l’année dernière. Plus ou moins au moment où les rendements des emprunts d’Etat et le dollar US se trouvaient à leur sommet, ce qui n’est évidemment pas un hasard. Depuis lors, l'indice MSCI des marchés émergents s’est apprécié de 12 % (en euros). Si l'on compare sa prestation avec celle de l'indice MSCI des marchés développés, sa surperformance s’élève à 8 % (voir le graphique). Au cours de sa longue hibernation, l’indice n’a réussi à enregistrer un tel rebond qu'une seule fois ! C’était en 2016, après que les craintes d’une crise financière en Chine aient créé une opportunité d'achat.

Les actions émergentes ont souffert de toute une série de facteurs qui se sont révélés économiquement déstabilisateurs. On peut évoquer la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, la pandémie, l'invasion de l'Ukraine par la Russie, mais aussi le cycle de resserrements monétaires de la Réserve fédérale américaine (Fed). Et les confinements en Chine ont encore accentué la pression sur cette classe d'actifs. Mais la levée des restrictions sanitaires par Pékin a entraîné un rebond de la confiance des consommateurs et bénéficié aux exportateurs de matières premières, comme l'Afrique du Sud, qui entretiennent des liens étroits avec la deuxième plus grande économie du monde. On le sait, les échanges commerciaux entre pays émergents s'amélioreront lorsque la Chine se redresse. Par ailleurs, l'inflation est également en train de ralentir dans des pays comme le Brésil ou l'Inde, alors que la perspective de voir la Fed freiner le rythme de ses hausses de taux a pour effet de rediriger les flux de capitaux vers les marchés émergents.
Les actifs plus risqués, dont font partie les actions émergentes, ont également profité de l’affaiblissement du dollar qui, après 21 mois de hausse, s’est déprécié de près de 10 % par rapport au plus haut atteint en octobre dernier. Traditionnellement, les actions émergentes ont tendance à être inversement corrélées au billet vert : une devise US forte est généralement synonyme d’un coût de la dette plus élevé et des conditions financières plus strictes dans les marchés émergents, et inversement. Maintenant que le dollar flirte avec son niveau le plus bas depuis six mois, le fait que les marchés émergents gagnent du terrain n’a donc rien de surprenant.
Mais peut-on vraiment s’attendre à ce que la devise américaine continue de se déprécier de la sorte ? La baisse de régime de ces derniers mois est largement due à la chute des rendements des emprunts d’Etat US (Treasuries), qui s’explique par le fait que certains investisseurs parient sur le fait que la Fed va bientôt changer son fusil d’épaule et commencer à abaisser ses taux. Cela fait des États-Unis une destination moins attrayante pour les flux de capitaux. Et force est de constater que le rallye obligataire se poursuit, malgré le refus de la Fed de faire quoi que ce soit pour alimenter l’hypothèse d’une prochaine baisse de ses taux directeurs. Si le marché obligataire voit juste, il y a fort à parier que le dollar restera faible. Il convient d’ailleurs de signaler que le rendement des Treasuries à 10 ans reste à peine supérieur au niveau de 3,5 % atteint pour la première fois en juin, et largement en dessous de son pic d'octobre (4,33 %).
Le marché des matières premières est une autre source d’influence majeure du billet vert et des actions émergentes. Les matières premières étant cotées en dollars, les deux actifs sont généralement inversement corrélés. Des prix des matières premières plus élevés vont donc de paire avec un dollar plus faible, et inversement (voir le graphique). L'année dernière, le rallye de la devise américaine a eu lieu alors que les principales matières premières industrielles s'effondraient à cause de l'invasion de l'Ukraine. Aujourd'hui, les métaux industriels semblent vouloir reprendre un peu de vigueur, ce qui tend à stimuler la performance des marchés émergents. La dernière fois qu’elles ont connu un important marché haussier, au début de ce siècle, les actions émergentes avaient été dopées par la croissance de la Chine et l’énorme impact de celle-ci sur la demande de matériaux industriels, provenant généralement d'autres pays en voie de développement. Il faut cependant reconnaître que la flambée des matières premières de 2021, qui est l’un des facteurs ayant le plus contribué au retour de l'inflation sur les marchés développés, n'a pas beaucoup aidé les actions émergentes. Cela s’explique au moins en partie par le fait que de nombreuses banques centrales émergentes ont été contraintes de relever leurs taux beaucoup plus rapidement que dans les pays développés. Si les métaux industriels repartent à la hausse, les actions des pays émergents devraient pouvoir en profiter.

Enfin, les valorisations plus attrayantes et les meilleures perspectives bénéficiaires ont aussi pour effet de renforcer l’attrait des marchés émergents aux yeux des investisseurs. Au début de l'année dernière, l'indice MSCI des marchés émergents affichait une décote de près de 40 % par rapport à celui des marchés développés, si l’on prend en compte les ratios cours/bénéfices (P/E) à 12 mois. La reprise observée depuis lors a ramené cette décote à 30 % (voir le graphique), soit l'écart le plus faible depuis mars 2021, mais cela reste toujours inférieur à la moyenne à long terme (25 %).

La réouverture de l’économie chinoise risque toutefois d’être semé d'embûches. Le pays connaît actuellement une forte vague de covid. Les actions et les devises des pays émergents ne sont donc pas à l’abri d’une hausse de la volatilité. Mais si les principales hypothèses se vérifient - à savoir que la Fed va continuer à assouplir sa politique de resserrements monétaires et que l’économie chinoise parviendra à regagner de la vigueur -, il y a fort à parier que les marchés émergents se comporteront bien, tant en termes absolu que relatif. Ces deux hypothèses vont inévitablement être mises à l'épreuve dans les mois à venir, mais pour les investisseurs à long terme, acheter ou surpondérer les marchés émergents semble être une bonne idée.