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Acheter un bien immobilier : en personne physique ou en société ?

Jean-Philippe Bonte

Jean-Philippe Bonte

Expert lead Family Business ING Private Banking

Le Belge a une brique dans le ventre, c’est bien connu, mais cela ne concerne pas seulement la propriété de l’habitation familiale. Nombreux sont ceux qui choisissent d’investir dans l’immobilier pour diversifier leur patrimoine et tenter d’obtenir ainsi un rendement plus attractif pour leur épargne. Mais vaut-il mieux investir en tant que personne physique ou en société ?

1. Privilégier l’investissement immobilier en personne physique ou en société, est-ce un choix purement fiscal ?

Non, pas seulement. Il faut également tenir compte du droit civil, en particulier dans le cadre d’une succession. En cas de décès du propriétaire, la dévolution légale s’applique en Belgique. Elle prévoit que le conjoint survivant hérite de l’usufruit et les enfants de la nue-propriété. La formule choisie pour l’investissement immobilier n’est donc pas neutre sur ce plan. Si vous avez acheté en tant que personne physique, vous possédez l’immeuble, c’est-à-dire les briques. L’usufruit permettra au conjoint survivant d’occuper le bien, de le louer à son profit. En revanche, si l’immeuble a été acheté en société, vous possédez des parts de la société, donc des actions – et on hérite de l’usufruit sur ces actions. Personnellement, je ne conseillerais pas d’acheter le logement familial en société.

2. Est-il vrai que la Belgique est fiscalement avantageuse pour les biens immobiliers détenus par des personnes physiques ?

Il y a en effet plusieurs avantages. La taxation des loyers est très modique lorsque les immeubles sont loués à des personnes physiques qui les utilisent à titre privé. Et même si les biens sont loués à des professionnels qui déclarent leurs loyers, cela reste intéressant : l’impôt est alors calculé sur les loyers réellement perçus mais on applique un forfait qui réduit la base taxable d’environ 40 %. Seul inconvénient : il ne peut y avoir ni frais déductibles, ni amortissements. Toutes les dépenses doivent être payées avec les loyers nets : le précompte immobilier, les frais d’entretien, de réparation, de rénovation, etc. Mais a priori, cela reste fiscalement intéressant.

3. Pourquoi alors recourir à une société pour investir dans l’immobilier ?

A cause de la planification successorale ! Les droits de succession sont très élevés en Belgique. En Flandre, ils atteignent 27 % au-delà de 250.000 euros par héritier, en Wallonie et à Bruxelles, c’est 24 % à partir de 250.000 euros et même 30 % au-delà de 500.000 euros par héritier. Certains de mes clients qui possèdent un important patrimoine immobilier à titre privé me demandent de les aider à planifier leur succession. Ils ont alors une mauvaise surprise : pour les biens immobiliers, les taux d’imposition sont progressifs et peuvent aller de 3 % à 27 % au-delà de 450.000 euros dans les trois régions. 

4. Acheter en société est donc nettement plus avantageux sur ce plan-là ?

Oui, parce que les actions sont des biens mobiliers et les droits de donation sont plafonnés à 3 % en Flandre et à Bruxelles et 3,3 % en Wallonie, ce qui est très avantageux. Sur le plan fiscal, on peut ainsi réaliser une économie très importante en matière de droits de succession. 

5. Peut-on constituer la société en cours de route, lorsqu’on possède déjà des biens immobiliers à titre privé ?

C’est possible à tout moment mais si l’on veut transférer dans la société des biens immobiliers acquis à titre privé, il faudra s’acquitter des droits d’enregistrement de 12 % en Flandre et 12,5 % dans les autres régions. Sont ici concernés les immeubles affectés ou destinés à l’habitation, totalement ou partiellement.

6. Y a-t-il d’autres avantages que les droits de succession ?

Oui, dans une société, on est taxé sur les loyers réels, mais les coûts sont déductibles si ils ont un caractère professionnel. Toutefois, en cas de revente de la société, la plus-value est taxée à 25 %. Si les loyers procurent des revenus à la société, on ne peut en sortir l’argent sans incidence fiscale, qu’on le fasse sous la forme de rémunération, de dividendes ou d’une diminution de capital. Tout dépend donc du dossier. Le recours à une société s’adresse plutôt aux clients qui ont une vision entrepreneuriale de leur patrimoine immobilier et souhaitent acheter, vendre, réinvestir pour augmenter la valeur de la société.

7. Si les deux systèmes ont chacun des avantages et des inconvénients, comment choisir ?

Chaque situation est spécifique et mérite d’être analysée en profondeur, avec l’aide de nos spécialistes. Voici néanmoins quelques conseils.

  • Si vous possédez déjà un portefeuille immobilier à titre privé, faites-en une analyse objective. Il peut être judicieux de vendre certains biens peu rentables ou trop vétustes pour transformer l’immobilier en cash et/ou d’autres investissements mobiliers et faciliter ainsi la planification successorale. Réduire la masse du patrimoine immobilier est le premier conseil que je donne à ceux qui ont trop de biens en personne physique.
  • Une autre possibilité existe pour neutraliser les futurs droits de succession : c’est le principe de l’achat scindé. Vous prévoyez dès l’achat du bien immobilier l’acquisition de la nue-propriété par vos enfants tandis que vous vous réservez l’usufruit. On le conseille à partir de 50 ans, mais rien n’empêche de le faire avant. 
  • Si le patrimoine est en société et que vous effectuez des donations, le fait de conserver l’usufruit des actions vous permet de préserver vos revenus et de garder le contrôle de la société.
  • N’hésitez pas à emprunter une partie de la valeur du bien pour l’acheter. Cela permet de créer un passif qui est toujours bienvenu en cas de succession. 
  • Privilégiez l’investissement en société pour des immeubles que vous voulez garder dans la famille ou des biens à rénover, moyennant des coûts importants. 
  • Évitez, si possible, de créer des indivisions. C’est un risque qui existe si plusieurs enfants héritent ou reçoivent des biens immobiliers et ne s’entendent pas sur la façon de les gérer ou d’en tirer des revenus. 

8. Que nous réserve l’avenir ?

Un projet de réforme fiscale est sur la table du gouvernement mais personne ne peut dire si et quand il va aboutir, tant il divise la majorité. Cependant, si l’on suit les principes défendus dans ce projet, cela pourrait impacter les choix futurs. 

On y trouve notamment la volonté de taxer les loyers réels, ce qui serait une bien mauvaise nouvelle pour les propriétaires en personne physique. Une telle mesure plaiderait en faveur d’une structure sociétale, surtout s’il n’y a pas de possibilité de déduction.

Il est également question de taxer les plus-values réalisées sur la vente de biens immobiliers. Beaucoup de questions restent en suspens à ce sujet, mais si ces deux mesures passent, elles auront pour effet de rapprocher la situation des personnes physiques de celles des sociétés en matière d’investissement immobilier.

Le conclave budgétaire d’octobre 2022 n’a finalement pas tranché, mais il a pris une autre décision : celle d’abolir la déduction fédérale accordée pour les remboursements de capital en cas d’emprunt hypothécaire pour les résidences secondaires et immeubles de rapport acquis à partir de 2024. 

Vous vous posez des questions sur la structure à privilégier pour votre patrimoine immobilier, existant ou futur ?