Luc Charlier
Investment Specialist
La nouvelle confrontation entre les grandes puissances que nous vivons actuellement se double d’une crise énergétique, dont le gaz naturel est un des enjeux majeurs. Guerre asymétrique, craintes de pénurie énergétique et impératifs climatiques combinent leurs effets pour faire des actifs liés à l’énergie une protection efficace contre les pressions inflationnistes.
Au mois de juin dernier, une explosion a eu lieu dans une obscure installation de Freeport au Texas qui recueille du gaz naturel provenant des bassins de schiste américains. En temps normal, cette information n’aurait pas fait couler beaucoup d’encre car ce site ne voit transiter qu’environ un cinquième du gaz US exporté vers l’étranger. Pourtant, les ondes de choc financières et politiques provoquées par cet incident continuent de se faire ressentir dans le monde entier. Cette installation ne devrait pas refonctionner à plein régime avant le mois de mars 2023 et, comme le marché du gaz est particulièrement tendu depuis la guerre en Ukraine, la baisse de régime du terminal texan de Freeport a un impact disproportionné sur l’approvisionnement mondial en GNL. Cet événement intervient en outre au moment où l’Europe essaie de réduire sa dépendance au gaz russe en diversifiant ses sources d’approvisionnement et où la Russie, pour sa part, tente d’infléchir les sanctions européennes en réduisant drastiquement ses flux de gaz vers le vieux continent.
Un marché tendu et très sensible
Comme l’Europe s’est principalement tournée vers les Etats-Unis pour s’affranchir du gaz russe, la moindre perturbation dans l’approvisionnement en provenance des USA est source de volatilité. Le marché est devenu à ce point tendu qu’une étincelle (comme l’incident de Freeport) suffit à faire flamber les prix du gaz. Au plus fort des tensions sur le marché, le contrat à terme (ou future) néerlandais à un mois sur le gaz, référence en Europe, a ainsi vu son prix presque multiplié par six l’année dernière, à près de 340 €/Mwh (voir graphique). Si l’on exprime le prix du gaz en barils « équivalents pétrole », on constate que le gaz a explosé à près de 575 $/baril équivalent pétrole, soit un montant près de sept fois plus élevé qu’un baril de pétrole !
Effet domino
Comme les acteurs économiques tentent de trouver des alternatives au gaz, ce sont finalement toutes les sources d’énergie qui sont impactées par la volatilité des prix du gaz. On songe, en particulier, à l’électricité, dont les prix sont, de surcroît, fortement influencés par les conséquences du réchauffement climatique. Du fait de la baisse du niveau des cours d’eau et des barrages, la production des centrales hydroélectriques s’est nettement tassée en Europe l’année passée. Le prix de l’électricité est ainsi devenu très dépendant de la dernière unité de production d’énergie qui, dans un contexte où beaucoup de réacteurs du parc nucléaire français sont à l’arrêt pour maintenance, provient de centrales au gaz. Une situation qui a fait littéralement exploser la facture électrique des ménages européens.
Stabilisation et craintes
Heureusement, le contexte semble s’améliorer !Les prix du gaz ont nettement reflué ces derniers mois à près de 55 €/Mwh (ou 100 $/baril équivalent pétrole), car, contrairement aux craintes initiales, l’Europe devrait avoir suffisamment de gaz pour passer l’hiver. Le vieux continent est parvenu à reconstituer l’essentiel de ses réserves de gaz et la demande de gaz s’est sensiblement contractée en réaction au niveau élevé des prix et à des températures très clémentes. Comme quoi la demande de gaz des ménages et des entreprises européens n’est peut-être pas aussi inélastique aux prix que ce que l’on pense généralement ! Selon une étude de Bloomberg NEF, en baissant de 1° leur thermostat, les Européens sont en mesure de réduire leur consommation de gaz de près de 10 %. Mais tout n’est pas réglé pour autant : les prix restent trois fois plus élevés que leur niveau moyen sur la période 2010-2020! Se passer durablement du gaz russe demeure un défi majeur. Par ailleurs, les conditions climatiques peuvent changer à tout moment. Et le marché de l’énergie reste confronté à un sous-investissement chronique. Autant de facteurs qui, on l’aura compris, sont de nature à soutenir les prix du gaz.

Mondialisation, le retour
Aujourd'hui, alors que l’économie tend à inverser le processus de globalisation, on assiste au phénomène inverse sur le marché du gaz, qui tend à se mondialiser rapidement. De plus en plus de pays amorcent une transition vers une production énergétique plus propre en se détournant progressivement des combustibles fossiles plus polluants. Ils se rabattent sur les énergies alternatives et l’énergie atomique en tentant de prolonger la durée de vie de leur parc nucléaire ou de l’agrandir. Mais tous ces chantiers prennent beaucoup de temps et de nombreux gouvernements sont contraints de se tourner, temporairement, vers le gaz naturel, comme en témoigne la hausse des exportations de GNL du Qatar et des Etats-Unis.
Des investissements gigantesques
Mais pour redynamiser la production de gaz naturel, il faudra recourir à une vague massive d’investissements. Les dirigeants des principales économies occidentales l’ont bien compris puisque, lors d’une des récentes réunions du G7 ils se sont engagés à soutenir les investissements publics dans les projets gaziers.
Cela passera, notamment, par la construction de nouveaux terminaux gaziers pour exporter et importer le GNL. En Europe, des projets d'une vingtaine de terminaux ont été annoncés ou accélérés depuis le début de la guerre en Ukraine. La Chine, premier acheteur mondial de GNL l'année dernière, est, pour sa part, engagée dans la construction de dix nouveaux terminaux d'ici fin 2023.
Il faut aussi davantage de pipelines pour acheminer le gaz jusqu’au consommateur final. L'Espagne possède les plus grandes installations de regazéification d'Europe, mais elle n'a que deux liaisons par gazoduc vers la France, via les Pyrénées.
Enfin, il reste la question du transport par voie maritime qui va nécessiter la construction de nouveaux méthaniers. Le défi est de taille car les chantiers navals de Corée du Sud, où sont construits la plupart des méthaniers, sont confrontés à une telle augmentation des commandes qu’ils n’ont plus assez de main-d'œuvre qualifiée.
Un bon placement
Les enjeux sont donc colossaux et justifient, du point de vue de l’investisseur, de garder en portefeuille une place de choix pour les actifs liés aux énergies qui n’émettent pas ou moins de CO2. Ils constituent plus que jamais une bonne protection contre les pressions inflationnistes induites par un marché énergétique où l’offre peine à satisfaire la demande. Comme on vient de le voir, accroître les capacités de production mondiale de GNL ne se fait pas du jour au lendemain et le GNL US ne peut, à lui seul, compenser la perte du gaz russe. Et comme l’Europe va rester en compétition avec l’Asie pour ses approvisionnements en gaz, le marché risque de rester durablement tendu avec, à la clef, une plus grande volatilité des prix gaziers.
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